"Moi, je me demande si les gens ne font pas semblant. Peut-être qu'ils sont trop fatigués, et qu'ils n'ont plus ENVIE de bouger ? Ou peut-être qu'ils ont PEUR..."
Quel bonheur de recevoir ce superbe album grâce à la voie des indés de janvier ! Merci à Libfly et Sarbacane... Rebecca Dautremer s'empare du conte de La Belle au Bois Dormant et nous en offre une réécriture très personnelle, aussi étonnante que réjouissante, du début à la fin. L'histoire débute alors que l’enchantement est déjà advenu : le village est endormi et cela dure depuis « un temps fou ». Dans les quelques lignes d'introduction, l'auteure nous invite à suivre deux bonhommes en balade, et ce sont eux, ou plutôt l'un d'entre eux, un vieux monsieur qui, page après page, nous guide à travers ce Bois dormant ; le lecteur peut s'identifier au deuxième personnage, aux airs de prince ou de jeune premier un peu naïf, à qui s'adresse directement l'ancien. Tout juste crayonnés, ils sont représentés page de gauche alors qu'en vis à vis les illustrations pleine page nous font déambuler dans un univers merveilleux ou tout un chacun a succombé à Morphée, surpris en pleine action, ainsi croisons-nous un balayeur, des boxeurs, des musiciens. Le vieux monsieur croit se souvenir qu'ils attendent quelque chose ou quelqu'un pour rompre le sort et c'est là que le Prince, puisque s'en est un, semble lui-même se réveiller, alors qu'il apparaissait un peu amorphe, passif, simple contemplateur, prend les choses en main pour réveiller ce beau monde, lui qui n'a pas dit un mot depuis le début.
L'album m'a séduite dès le début mais il faut avouer que la fin est une pirouette géniale, l'acte libérateur est seulement suggéré (mais chacun se souvient du conte). On reconnaît bien le style de Rebecca Dautremer, son trait, sa palette de couleurs et pourtant on a l'impression qu'elle se renouvelle sans cesse. Le dessin a lui seul justifie le terme de « coup de cœur» pour cet album audacieux, les personnages ont des airs « d'années folles », ils sont figés dans le sommeil et pourtant, on a parfois l'impression qu'ils dansent comme les deux boxeurs ou le balayeur. Les références au sommeil foisonnent discrètement dans le dessin, on retrouve par exemple une affiche du film « The big sleep », une rue du dortoir ou un parc de la méchante pionce et on se dit que l'auteure a dû prendre beaucoup de plaisir à créer, elle a dû aussi bien s'amuser et elle nous amuse de même. Mais le texte est lui aussi parfaitement réussi, très malicieux, le ton du guide est familier, décalé par rapport au ton habituel des contes, notamment celui des Frères Grimm ! C'est bien simple, chaque page est un poème, c'est à la fois beau, tendre et jubilatoire, à lire et regarder inlassablement.
(Fabienne)