"Les gens des hautes plaines se sont assez battus pour avoir de l'espace alors ils ont le verbe haut et crient pour se faire entendre de loin, mais ils savent aussi se taire et apprécient d'avoir de l'espace pour réfléchir en profondeur"
A l'époque de la grande dépression américaine, Ella May et Tike, un jeune couple, vivent dans une vieille bicoque crasseuse et branlante dans le Texas, "un trou puant" et alors que la situation économique du pays mais aussi la leur s'effondre, ils n'ont qu'un rêve, construire une maison de terre. Ils veulent fuir la misère et, très vite, cette maison cristallise toutes leurs attentes, elle devient le but vers lequel ils tendent sans relâche. Mais les temps sont durs : de fermiers, ils deviendront métayers puis journaliers et plus ils s'enfoncent dans la misère, plus ils rêvent de la maison de terre, plus ils en parlent et imaginent la vie qui ira avec elle... C'est grâce à ce rêve qu'ils ne sombrent pas dans le désespoir mais grâce aussi au rire : Tike et surtout Ella May, rient beaucoup, comme pour défier l'adversité ; ce n'est pas un rire de joie mais un rire qui fait barrière au chagrin. Il leur arrive aussi de pleurer mais alors, dans leur "infâme masure", même leurs larmes sont boueuses. C'est un roman théâtral, par sa forme d'abord, il y a deux parties chacune offrant une unité de temps, de lieu et d'action mais aussi parce que Tike et Ella May aiment jouer la comédie, endosser des rôles, sans doute pour transcender la réalité. La langue du récit est superbe : Tike et sa femme ont le verbe haut, c'est une langue verte, très imagée. La langue de Woody Guthrie est orale, dialoguée ; il a vécu parmi les pauvres et il retranscrit leur façon de s'exprimer. Le ton parfois cru s'accorde au récit qui est charnel voire érotique, c'est aussi un roman organique : les corps suent, suintent et l'auteur sait en parler... Tike et Ella May ne sont pas naïfs (même s'ils rêvent beaucoup) : ils sont en colère mais ne savent pas contre qui la diriger car en fait, c'est tout un système, économique et social, qui est en crise et finalement, c'est le début du capitalisme que dénonce Woody Guthrie, une grosse machine qui broie les êtres... La maison de terre vient d'être traduit (avec talent par Nicolas Richard) pour la première fois en français, à lire assurément, ne serait-ce que pour se laisser surprendre par la langue ronde et tout en relief, le rythme des phrases : certaines d'entre elles s'allongent, s'étendent (créant un effet de surenchère) et finissent par devenir franchement délirantes. Je ne l'ai pas encore dit, mais il y a aussi beaucoup d'amour et de tendresse ici : une très belle découverte...
(Fabienne)