"L'amour est là où il ne devrait pas être, au deuxième étage de cette maison cossue, protégé par la pierre de tuffeau et ses ardoises trop bien alignées, protégé par cette pensée bourgeoise qui jusque là les contraignaient, et qui, maintenant leur offre un écrin."
Victoire de Champfleuri est mariée depuis quelques années à Anselme de Boisvaillant, suite à une annonce parue dans le Chasseur Français. Nous sommes en 1908 et la jeune femme se lasse rapidement des "charmes" très discrets du mariage bourgeois : les œuvres de charité, les réceptions et surtout les visites nocturnes de son mari qu'elle redoute. De plus, son ventre reste désespérément plat, ce qui lui vaut regards et réflexions amers, son entourage commence à s'impatienter : il faut une descendance au notaire, un garçon, bien sûr, serait idéal. Elle passe pour capricieuse : "Tu es toujours insatisfaite, fuyante. Tu es allée à Paris, tu as une robe. Qu'est-ce qu'il te faut de plus" ? Ben oui voyons, de quoi d'autre pourrait-elle avoir besoin ??? Le fils tant espéré, c'est la bonne, Céleste, qui le leur donnera, victime elle aussi des visites impromptues d'Anselme, qui la viole sans autre forme de procès. Elle ne sera pas chassée (et il faudrait en plus qu'elle leur en soit reconnaissante), le couple adopte l'enfant. Cette nouvelle maternité guidera Victoire vers l'amour, elle s'y donnera corps et âme, enfreignant avec volupté les interdits et les convenances. Elle découvre qu'elle a un corps, des désirs. Hélas, dans cette société début de siècle, briser l'ordre établi est impensable et au final, ceux qui paient sont ceux qui se trouvent au bas de l'échelle, doublement victimes, il n'y a pas de rédemption pour les "petites personnes"...
Un très beau texte sur l'éveil à l'amour, à la vie, à la conscience du corps mais au delà, un texte qui en dit long sur la condition féminine au début du XXè siècle quel que soit le niveau social, sur la domination masculine et l'ignorance angoissante dans laquelle étaient laissées les filles quant à la sexualité, au seuil du mariage ; la seule recommandation de la mère de Victoire a été : "Souris, aie des enfants. Rien d'autre", un peu court tout de même ! Mais voilà, le drame était qu'on n'attendait rien de plus d'une femme. Dans le milieu bourgeois, elle devait "tenir son rang". Au-delà, Amours a également de grandes qualité romanesques, l'écriture est est fluide, sensuelle, les phrases s'enchaînent et on le lit d'une traite, l'ombre d'Emma Bovary n'est pas loin... Un grand plaisir de lecture.
(Fabienne)