« Le village entier l’aurait lapidée si elle était encore en vie. Parce qu’elle incarnait ce que bon nombre de gens détestent ici. Un besoin de liberté farouche exprimé de manière maladive ».
Marine Beaussault est lauréate du prix Louis Guilloux 2025
Nous sommes dans les années 80, un village que l’on imagine très bien en Bretagne mais qui pourrait être partout ailleurs. Une guerre froide oppose les notables de la Haute-Motte aux paysans de la Basse-Motte, les vieux comptes ne sont pas réglés, chacun est enferré dans ses convictions, ce sont deux mondes qui s’opposent et le dialogue est impossible. Lorsque Marie, la fille du pharmacien est retrouvée morte près de la rivière, l’émoi est profond d’autant plus que l’homicide est évident. Très vite, les (mauvaises) langues se délient et si la compassion est de mise, on est tout de même rassuré que le malheur ait plutôt frappé les voisins et puis quelque part, « elle l’a bien cherché », ce meurtre est une petite vengeance des ploucs sur ceux qui les méprisent. André, chef des gendarmes est chargé de l’affaire, il sera aidé par Arlette, débarquée de la PJ. Les interrogatoires parsèment le texte et, s’ils ne font pas avancer l’enquête, ils en disent long sur les gens eux-mêmes, sur la mentalité du village : ici tout est «étriqué » (le mot revient souvent).
Marguerite est fille de paysans de la Basse-Motte, âgée de 7 ou 8 ans, c’est un personnage essentiel, probablement le plus lumineux. Pourtant, elle souffre d’une déficience mentale, elle parle très peu, son rapport au monde est différent. A l’école, c’est une « proie », une « petite bête ». Elle connaissait Marie, de loin, et elle en sait bien plus que ce que l’on pourrait soupçonner sur le drame mais bien-sûr, personne n’aurait idée de lui poser la moindre question.
Les saules est certes un roman policier mais avant tout un roman de mœurs, un roman rural et social, noir, très noir. Le meurtre est le prétexte à se fondre dans la vie d’un village où les rêves sont étroits. Marie avait bien compris qu’il fallait partir de là pour espérer vivre libre et échapper à un quotidien morne voire aliénant : les habitants ne lui pardonnaient pas ses rêves et ils ont la rancœur tenace. Beaucoup de personnages prennent vie ici et l’autrice excelle dans l’art du portrait psychologique. La plume de Mathilde Beaussault est âpre, mordante, parfois cynique ; sans fioriture, elle sonne toujours juste et les métaphores sont fines et très visuelles : « Le père acquiesce. Il est la ponctuation de son fils ». En 3 mots, elle décrits les émotions et les états intérieurs des personnages. Un excellent premier roman, bien lugubre mais qu’il est difficile de lâcher, un regard tout de même assez désespéré sur le monde rural de cette époque.
Fabienne
La sélection 2025 du prix Louis Guilloux :