"Voir à nouveau ce que le cerveau, la routine, l'habitude ont méticuleusement mis de côté, cloisonné, ficelé, élagué, ou rangé dans un coin"
Alexandre dit de lui-même qu’il mène une « vie de hibou » et en effet, il travaille de nuit dans un parking souterrain et rentre chez lui au petit matin. Il dort la journée, retourne travailler le soir et ça fait 28 ans que ça dure, le dessin et la lecture sont ses seuls plaisirs. Pas de congés, pas de famille, pas d’amis. Alors quand le déclic survient, « Je ne suis qu’à côté. Je ne fais que passer à côté… de tout », il ne va pas faire les choses à moitié : il décide de partir faire un trek en Alaska, il a soif « de lumière… de grands espaces… de lignes d’horizon". Hélas, sur le départ, il apprend la faillite de son agence de voyage : il ne peut pas partir. Comble de malchance, il chute dans l’escalator et une grosse entorse compromet toute velléité de randonnée. Qu’à cela ne tienne, sa grande aventure il la vivra dans son quartier. Il s’installe dans un hôtel à deux pas de chez lui et à défaut d’ours et nature sauvage, s’adonne au pistage et à l’observation de ses contemporains à partir de tous les signes que ceux-ci laissent sur la place qu’il occupe chaque jour… Alors nous faisons un pas de côté et nous installons dans les marges avec lui, nous observons avec lui et quelque part nous nous observons nous-mêmes, il y a un indiscutable effet miroir !
Cette très jolie BD est une délicate invitation à « apprivoiser le temps », à nous « dépoussiérer les yeux », à secouer notre routine et à regarder autour de nous. Très peu de texte, les personnages de Chabouté sont des solitaires qui parlent peu, l’essentiel se raconte par le dessin, ce noir et blanc profond, ces quelques touches de couleur et le carnet de voyage d’Alexandre. De la poésie, de l’humour et un regard plein d’humanité et d’indulgence sur une faune un peu spéciale, qui vit au pas de course !
Fabienne