« L’humanité s’est présentée à moi nue, dans ce qu’elle a de plus brut et de plus sincère, sans rien dissimuler de ses contradictions et de ses zones grises, faisant voler en éclat tout mes repères et me poussant à une introspection philosophique que je n’avais pas vu venir »
En 2018, Pauline Hillier pense avoir enfoui au plus profond d’elle-même son passage à la prison de la Manouba à Tunis 5 ans plus tôt, mais une rencontre aussi fulgurante que décisive lors d’une fête chez un ami, fait remonter implacablement ses souvenirs et l’écriture apparaît alors comme une évidence. Les Contemplées, clin d’œil au livre d’Hugo qui l’a accompagnée durant sa détention, c’est le récit vibrant de ce mois passé derrière les barreaux.
Dès le 1er chapitre on plonge avec l’autrice dans un univers oppressant, la peur et le vertige qui la saisissent dès son arrestation sont palpables. Et puis, ce sera la rencontre avec ses codétenues du pavillon D dont elle se méfie d’abord et pourtant, elles vont l’accueillir et lui donner, dans un mélange de français et d’arabe, les codes de la vie dans cette micro-société exclusivement féminine et ultra hiérarchisée. Et puis, sous couvert de lire les lignes de leurs mains, des liens vont se nouer, des amitiés scellées par un verre de fanta ; les prisonnières vont raconter leur histoire, celles qui les ont menées à la Manouba. Qu’elles soient coupables ou innocentes des crimes et délits dont on les accuse, Pauline, dite La voyante ou la Bolona, comprend qu’elles sont surtout des victimes de la violence du patriarcat. Dès lors, les frontières se brouillent, ce qu’elle pensait savoir du bien et du mal est totalement chamboulé : « Où sont les bourreaux, où sont les victimes ? »…
Si la justice tunisienne s’escrime à « rayer de la carte » les femmes de la prison, l’autrice rappelle qu’elles sont là, elle leur rend leur dignité et leur place dans le monde. Le texte est bouleversant par sa sincérité, par la lucidité du regard sur la justice tunisienne, qui brise les femmes et les enferme « sans autre perspective de soin ou de réinsertion que celle de la repentance devant Dieu » mais bouleversant surtout par l’humanité qui émane des portraits des détenues. Si la narratrice a vécu des conditions de détention effroyables (les humiliations, le manque d’hygiène… ), elle a aussi éprouvé la solidarité et la sororité «dans [leur] forme la plus pure et la plus belle ». Merci de les partager avec nous ! Coup de cœur bien-sûr…