« ... Ou elles peuvent réserver leurs prières pour plus tard et simplement profiter de ce moment, du chaud soleil sur leur peau, des roses, de la compagnie d’une vieille amie. Car jouir du bien-être terrestre est également une forme de prière »

En 1158, Marie de France est exclue de la cour par Aliénor d’Aquitaine et nommée prieure d’une sombre abbaye royale d’Angleterre. Elle a 17 ans et ne se sent aucune disposition à la vie moniale, sa foi est toute relative. Elle arrive dans un endroit misérable, la famine sévit, les sœurs meurent de faim ou de froid. Quand elle comprend qu’elle ne sortira pas de là, Marie ne se soumet pas et se voue corps et âme à changer l’ordre des choses : elle veut rendre sa puissance et sa richesse à l’abbaye. Marie la guerrière, la bâtisseuse, la visionnaire, recrée une sorte d’Éden, et à force d’obstination, la communauté des nonnes vit bientôt protégée, en parfaite autonomie et se distingue par des activités réservées aux hommes : la magistra enseigne les langues, le scriptorium abrite les copistes et l’enlumineresse.  Elles élèvent du bétail, cultivent et disposent d’une infirmerie. Il y a des nonnes forgeronnes, engeigneresses, seules manquent les tailleuses de pierre. Marie devient la « légendaire abbesse guerrière », respectée, voire crainte à l’extérieure. Finalement, elle s’étonnera elle-même de sentir vibrer sa foi. A 47 ans elle devient abbesse, son intelligence et sa finesse n’ont d’égales que sa bonté et sa sagesse, mais elle est aussi malicieuse, précurseuse, et ne sera pas toujours comprise par les sœurs qui jugeront parfois ses décisions blasphématoires, il n’empêche, toutes resteront loyales…

De Marie de France, finalement on ne connaît que les écrits, d’elle, on ne sait rien ou si peu ; Matrix de Lauren Groff est donc un roman, et quel roman ! J’avoue avoir eu du mal à m’y plonger, j’ai même songé renoncer, il me manquait quelques codes, mais l’autrice ne nous laisse pas en chemin et très vite, le charisme de Marie, son rapport au dogme et sa lecture toute personnelle des textes bibliques m'ont embarquée. Mais c’est aussi l’approche féministe du roman qui m’a conquise, l'écriture délicieuse, incarnée, un Moyen-âge inattendu, une présence affirmée des corps : celui hors-norme de Marie, les corps souffrants, désirants, ceux des animaux aussi. Un coup de cœur !

Fabienne

 

A écouter : la chronique de Lucile Commeaux