" Cela dure un instant ou de longues minutes, je ne saurais le dire. Le regard d'Igor abolit mon être. Partout dans mon corps mille particules soulèvent mes membres, et c'est à la fois de la peur et de la glace, du miel et de la lavande. "
A la mort de sa grand-mère (qui l’a élevée), la narratrice, une toute jeune femme, quitte le village et s’enfonce dans la forêt. Elle n’a plus rien et n’emporte avec elle que ses souvenirs et la mémoire bien ancrée des rituels païens transmis par son aïeule. Elle rejoint le monde des parias, des invisibles, ceux de la montagne dont on ne veut pas au village, parce qu’ils ne sont pas comme eux ou parce qu’ils rappellent aux habitants un passé qu’ils cherchent en vain à oublier. Du jour où elle rencontre Igor, ils ne se quitteront plus, il y a entre eux comme une reconnaissance immédiate, un amour inné, inconditionnel. De lui elle ne sait d’ailleurs rien et ce sont quelques rencontres avec les anciens, les légendes qu’ils lui racontent qui vont l’aider à reconstituer l’histoire de cet homme, comme des morceaux de puzzle qu’elle assemble petit à petit. On parle peu dans la montagne, le silence est une composante essentielle du quotidien et elle va devoir comprendre à demi-mots, saisir les implicites, déchiffrer ce qu’on lui suggère pour finalement éclairer non seulement l’histoire de son homme mais aussi plus largement la sienne, celle de ce coin du monde, jamais vraiment nommé mais proche du lac Baïkal.
Ce roman, dont le titre magnifique reflète si bien l’atmosphère, est un roman des grands espaces aux allures de conte. Le lecteur est pongé dans une ambiance aux contours indéfinis, nébuleux, les repères habituels fondent et nous traversons l’hiver dans les pas de ce couple improbable, envoûté par leur histoire mais aussi par l’écriture onirique de Laurine Roux. Si les mots sont rares chez ceux de la montagne, les gestes, les corps parlent d’eux-mêmes et l’écriture a quelque chose d’organique qui nous le rend bien. L’histoire nous rappelle la violence de l’homme dit civilisé dès lors qu’il en croise un autre qui ne lui ressemble pas mais c’est aussi un chant aux savoirs ancestraux, à la transmission, à la vie au plus proche de la nature. L’écriture de Laurine Roux est éblouissante !
Fabienne
Laurine Roux vient de publier un nouveau roman : L'autre moitié du monde, il fait partie des romans en lice pour le prix Louis Guilloux 2022 et est donc réservé pour l'instant aux membres du jury !
Les éditions du sonneur, un éditeur à découvrir :