« Nous ne figurons nulle part, ni officiellement, ni officieusement. Nous sommes à la fois quelqu’un et personne. Nous existons tout en n’existant pas. Nous agissons tout en n’agissant pas, ou plus exactement, nous n’exécutons pas les actions que nous entreprenons, ou ce que nous faisons, personne ne le fait. Nous nous trouvons là, un point c’est tout ».

Depuis le lycée, la jeune madrilène Berta Isla sait qu’elle fera sa vie avec Thomàs Nevinson, un garçon assez charismatique, à la double nationalité, anglaise et espagnole, un polyglotte qui n’a pas son pareil pour imiter les accents et les voix. Durant leurs études, ils se verront par intermittence, le jeune homme étant parti à l’université d’Oxford, mais là, un évènement effarant viendra couper court à ses projets d’avenir. En effet, alors qu’il quitte la chambre de sa maîtresse occasionnelle, celle-ci est assassinée : il est le coupable idéal. La seule échappatoire pour Tom est d’accepter d’intégrer les services secrets, ceux-ci l’ont repéré depuis quelques temps et souhaitent le recruter au vu de son exceptionnel don des langues ; ils lui offrent en contrepartie d’effacer toute l’affaire. A contrecœur, Thomas accepte… Officiellement employé à l’ambassade du Royaume Uni à Madrid, il épouse Berta et entame une double vie. Bien-sûr, la jeune femme apprendra après plusieurs mois la vraie nature de son travail, sans pour autant rien savoir : ni où son mari se rend lors de ses absences de plus en plus longues, ni de quelles affaires il s’agit : elle doit vivre dans l’attente, l’inquiétude et le ressentiment. En effet, pour une Madrilène qui a connu les heures sombres de la dictature, pas facile d’accepter que son mari soit un infiltré, un traître ; de longues discussions opposeront les époux, lui, dévoué à la cause, convaincu du bien-fondé de ses missions, de servir les intérêts de la couronne, elle au contraire, persuadée de l’inverse, faisant appel à la littérature (Shakespeare) pour argumenter… Et puis un jour, plus de nouvelles, Thomas disparaît des radars, impossible de savoir s’il est mort, prisonnier ; après quelques années, sans jamais avoir eu la moindre information, Berta est considérée comme veuve…


Voici un roman brillant, très écrit, avec peut-être quelques lenteurs au début du texte mais dans lequel on finit par s’immerger complètement et que l’on ne peut finalement plus lâcher. Les points de vue des époux alternent, quand bien-même, on est davantage plongé dans la vie de Berta, dans ses émotions, ses questionnements, ses doutes. On pense à Ulysse bien-sûr, mais contrairement à Pénélope, Berta ne fait pas figure de femme éplorée, elle ne met pas sa vie entre parenthèse dans l’attente de Thomàs mais tout de même, son existence est placée sous le signe de l’attente. C’est aussi un roman sur l’identité : souvent, à force d’incarner d’autres personnes, Thomas ne saura plus qui il est lui-même « Votre identité est salement ébranlée quand vous simulez longtemps et que vous vous installez dans une vie d’emprunt » ; de même Berta se demandera souvent qui est cet homme face à elle, ne le reconnaissant plus à ses retours. Un grand roman, avec une fin qui nous laisse éberlués, comme deux ronds de flan !!

Fabienne

 

Auteur ·trice Marias, Javier (1951-2022) (Auteur) ;Fortier-Masek, Marie-Odile (Traducteur)
Titre(s) Berta Isla [Texte imprimé] : roman / Javier Marias ; traduit de l'espagnol par Marie-Odile Fortier-Masek.
Edition Paris : Gallimard, 2019.
Collection(s) (Du monde entier).
Genre(s) et thème(s) Adulte,Littérature espagnole,
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