« De même qu’il l’avait porté sur ses épaules la première fois, il le fit la dernière aussi, de sa démarche lente, tordue, titubante, qui était le plus grand de ses défis : tenir en équilibre sous le poids des choses perdues »
Depuis quelques mois les éditions Gallmeister explorent d’autres contrées et publient notamment de la littérature italienne. Alors j’avoue qu’au début j’ai fait la moue (comment ça on sort des Etats-Unis ???) mais mais au final et après lecture, force est d’admettre que c’est une excellente idée ! Ce Un jour viendra est de toute beauté, un texte virtuose qui trouve entièrement sa place dans le catalogue de l’éditeur et dont on doit la traduction à Laura Brignon.
Nous sommes dans les Marches sur la côte Adriatique, au début du XXème siècle, une période marquée par un éveil à l’Anarchie notamment dans les villages, où les ouvriers agricoles se font confisquer le fruit de leur travail par les propriétaires, ceux-ci leur laissant à peine de quoi vivre. Ce contexte historique est rendu avec beaucoup de talent dans le roman, notamment les scènes collectives : on y est ! Et puis, il y a Lupo et Nicola, deux frères que tout oppose : Lupo est éternellement en colère, dur, à la fois solitaire et meneur dans les luttes anarchistes, il a un côté indomptable alors que Nicola est fragile, méfiant, doux… Pourtant il y a entre ces deux-là, malgré les coups de sang de Lupo, un amour fraternel absolu, un esprit de corps au sein d’une famille par ailleurs un peu disloquée (une mère dévote et alitée, un père acariâtre), une famille dans laquelle on grandit avec « la conviction d’être condamné à mourir jeune », une famille qui cultive le secret comme d’autres la vigne sur ces terres arides. Et puis, il y a le couvent qui attire irrémédiablement Lupo, sans qu’il n’en connaisse la raison…
Un roman qui gagne à être lu lentement pour en savourer tous les détails, s’imprégner de l’atmosphère, c’est un récit presqu’organique qui pénètre en profondeur l’âme de ses deux frères qui ne font pas de la parole un usage abusif ! Une société patriarcale où les femmes payent au prix fort la violence des hommes. L’omerta règne… Un jour viendra laisse une empreinte durable, on le termine à regret, décidément, Gallmeister nous gâte !
Fabienne
« Nicola (…) prenait peur quand il entendait le mot anarchie. Il se la figurait comme une femme d’une extrême beauté, au visage fier, à l’air altier de guerrière, avec en bouche des mots plus forts que ceux des hommes, ce n’était pas une pauvre fille comme celles des maisons closes, ce n’était pas la fille d’un fermier, la petite sœur de Gaspare, la nièce du primeur, mais une statue aux grandes mains et à la grosse voix, et pour une femme pareille, Lupo pourrait l’abandonner »