« Je vais écrire des choses sales et je voudrais que vous me pardonniez même si lire c’est moins pire que subir on voudrait tous être épargnés. J’ai tourné dans ma tête mon meilleur dictionnaire mais je sais maintenant que ça ne se raconte pas joliment. Alors je vais le dire comme ça a été et vous comprendrez »
Duke sait qu’il va mourir bientôt, il est en prison et écrit ses confessions à l’image de celles de Saint-Augustin qu’il lit en parallèle et qui soutiennent sa pensée. Il écrit en quête de rédemption pour les crimes qu’il a commis, mais aussi pour exorciser le mal, réduire en miettes le Démon qui l’habite, qui l’a conduit à la violence et contre lequel il a lutté toute sa vie. Ce Démon, c’est la rage qui le submerge et qui déchaîne sa fureur quand il se trouve face à l’injustice la plus crasse ou à la douleur de ceux qu’il aime. Il le côtoie depuis l’enfance, c’est selon ses mots « l’héritage de son père », un pervers obscène qui lui a fait vivre les pires sévices dans la maison sur la Colline aux loups : séquestration, humiliations, viols… Une enfance qui évidemment va le dévaster et affecter sa vie entière. Plus tard lorsque quelque chose de bon survient dans sa vie, ce quelque chose est détruit avec une constance sans faille et une brutalité chaque fois plus intense, sa violence suivra la même progression…
Voilà, je n’en dirai pas plus car toute tentative pour résumer ce texte est forcément vouée à l’échec. Une chose est sûre, Le Démon de la Colline aux Loups nous met une grande claque, on est en apnée toute la lecture et on la termine terrassé, ébranlé dans nos certitudes. A un moment Duke écrit « Je crois que personne n’arrivait à savoir si j’étais à prendre du côté de l’ange blessé qui dérape ou de la bête perdue pour la cause moi j’avais la réponse », nous aussi on pense l’avoir mais ce n’est sans doute pas la même que lui. Un roman douloureux que l’on devine nourri de ce que Dimitri Rouchon-Borie, chroniqueur judiciaire par ailleurs, a entendu pendant des années au tribunal, mais encore fallait-il pouvoir l’écrire et transmettre cette émotion brute, sans artifice et avec un « parlement » étrange, décalé, le tout sans ponctuation ou presque, (hormis les points), histoire de bien installer ce sentiment d’oppression qui nous saisit dès la première page ! Il y a tout de même des moments de grâce, lorsque Duke traverse la forêt ou découvre la mer et c’est alors une émotion d’un autre ordre qui nous prend et nous fait relâcher un peu la pression (oui, enfin pas longtemps) ! Duke doute parfois d’avoir une âme et pourtant de son histoire, de sa sincérité, ce sont une sensibilité démesurée et une humanité à vif qui se font jour et qui nous prennent à la gorge. Vous l’aurez compris, on tient là un roman puissant, rare et généreux (en dépit de sa violence quasi insoutenable), puisqu’il donne une voix aux paumés, aux oubliés, à la misère humaine. Du grand art !
Fabienne