« Une ville doit dégager nos odeurs de crasse et nos instincts d’animaux. Elle doit raconter nos vies et nos dérives. Une ville trop propre ne me dit rien, elle me fait peur, à cacher ses névroses »
Cinq dans tes yeux, c’est un peu ça : « l’histoire d’un groupe d’amis qui a explosé dans les années 90 avec la réhabilitation du Panier ». Stress, le narrateur est un quadra qui projette de retrouver ses anciens amis et de les interroger pour un docu-fiction sur son quartier de jeunesse à Marseille ; en attendant, il vivote en filmant les mariages comoriens des quartiers Nord, il leur vend « un rêve qui ressemble à un générique low-cost d’émission télé ». Oui, Stress porte un regard assez lucide et teinté d’ironie sur lui-même ! Deux époques se croisent, les souvenirs des années 90, avec ses potes, Ichem, Djamel, Kassim, Nordine et Ange, un « cul-blanc » comme lui, ils étaient alors des p’tits voyous, chacun plus ou moins cabossé par son histoire personnelle. Et puis l’époque d’aujourd’hui, une Marseille transfigurée par l’installation des « Venants » au Panier, ces bobos artistes intellectuels (de gauche) qui ont relégué le populaire en périphérie et ont (en toute naïveté et bien-pensance) démoli une vie de quartier avec sa culture, ses traditions etc. Ces mêmes Venants qui, quelques mois ou années après leur propre arrivée, prétendent lutter contre la gentrification du quartier, sans être le moins du monde conscients de l’absurdité de leurs propos !! Stress fréquente finalement beaucoup ces nouveaux venus, « partagé entre l’envie de [s’]en faire des potes et leur cracher dessus ». En tout cas, le portrait qu’il brosse de cette faune cool et branchée est acide, mordant avec parfois une pointe de tendresse et d’affection face à leur bêtise : « Le monde qu’ils travaillent à rendre meilleur, c’est avant tout celui dans lequel ils vivent ». Stress leur reproche surtout d’avoir aseptisé Marseille et le Panier en particulier, devenu « the place to be » pour artistes et touristes.
Stress a la nostalgie de son quartier mais aussi des amitiés qui n’ont pas survécu à l’âge adulte, le roman quant à la lui est vif, pète le feu, et n’entraîne pas le lecteur dans la nostalgie de son personnage, quelques scènes il faut l’avouer sont vraiment drôles, Johanna (petite amie de Stress) préparant son appartement avant de recevoir ses amis par exemple. Un récit urbain, de très belles pages, les dernières en particulier sont émouvantes, une langue contemporaine, haute en couleurs, qui claque et qui peut passer d’un registre à un autre. On slalome dans les rues de Marseille au son du raï, ses quartiers, ses rues, le port et la balade est vraiment chouette, parfois un peu étourdissante, des tas d’images naissent à la lecture même quand on ne connaît pas la ville ! En fait, c’est une déclaration d’amour de l’auteur à Marseille mais s’il regrette la ville de sa jeunesse, finalement qu’en pense l’intéressée elle-même ? Oui parce que « Marseille c’est une femme libre. Et si tu crois qu’elle va attendre après toi, tu te fourres le doigt dans l’œil ».
(Fabienne)
Bande annonce du roman :