"La séduction de la femme égyptienne quand elle étend le linge n'est pas moins grande que lorsqu'elle danse à la manière orientale. La force de séduction est la même dans les deux cas, mais d'une sorte différente. La séduction de la danse orientale est franche et directe. C'est un appel au sexe. Quant à l'étendage du linge, sa séduction est réservée, décente, voilée. La femme fait ses mouvements sans se rendre compte de leur impact sur ceux qui la contemplent."
L'automobile club a ouvert ses portes au Caire en 1924 ; créé par et pour l'occupant britannique, il sera aussi fréquenté par l'élite égyptienne, notamment par le roi Farouk qui, au moment du récit (fin des années 40), y coulera des nuits entières à jouer, entouré de ses maîtresses et de ses courtisans. Alaa El Aswani met en scène tous les personnages qui gravitent, de près ou de loin autour du club : les serviteurs, leurs familles, le roi, l'odieux directeur raciste et suffisant, El-Kwo, le responsable du personnel, un tyran qui asservit les employés, et fait régner la peur. On suit plus particulièrement la vie d'une famille dont le père, descendant ruiné d'une grande famille de la Haute Egypte a rejoint la capitale pour nourrir sa famille. Hélas, recruté comme magasinier au club, il ne survit pas au traitement humiliant que lui impose El Kwo : après sa mort, chacun de ses 4 enfants s'engage dans une voix sur laquelle pèse un poids considérable.
Finalement, à travers l'automobile club, c'est un portrait de l’Égypte à cette époque qui se dessine, le fossé entre les Britanniques et le peuple égyptien semble infranchissable : « Les européens sont venus ici pour piller le pays et sucer le sang des Égyptiens, tout en les méprisant jusqu'à la dernière limite » osera Odette, une anglaise peu conventionnelle. C'est aussi un roman qui explore les rapports de domination et de soumission, entre colons et Égyptiens, au travail bien-sûr, entre chefs et serviteurs, mais aussi dans le couple : quelques scènes absolument délicieuses où certaines femmes, habiles manipulatrices, jouent avec le désir de leur mari pour s'imposer. Cependant, si la structure de cette société paraît encore solide, les fondations commencent doucement à vaciller, dissidence politique et contestations salariales agitent quelques esprits progressistes. Un excellent roman, Alaa El Aswani jongle à merveille entre fiction (avec des personnages hauts en couleurs), et vérités historiques. Les anecdotes drôles (comment le barman prend des revanches toutes personnelles sur les clients injurieux) alternent avec des scènes plus graves, qui interrogent ce qui fait un homme. Un roman engagé qui nous entraîne irrésistiblement !
(Fabienne)
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