"L'année des tragédies, voilà comment on l'appela ensuite, cette année 1988, mais on pensa aussi confusément, sans précisément le formuler, que le petit pays du Centre ne fit qu'expurger ses graines infectées, celles qui, si elles avaient continué de pousser et de prospérer, l'auraient envahi tout entier, précipitant toutes les agonies"
1988 donc, la nuit du 9 août (la Saint Amour), Roberto se pend au viaduc que plus aucun train ne traverse et qui domine un hameau perdu du Cantal, en bord de forêt, théâtre du roman. Roberto, c’est une jeune fille de 15 ans, une mauvaise fille pour les villageois, parce qu’elle se donne aux hommes, les hommes mariés comme ce vagabond dont on se méfie, Fortuna Moureau. Deux jours après son suicide, son corps disparaît étrangement de la morgue et les recherches resteront vaines. Le récit, sinueux, revient alors sur la vie de Roberto et en particulier sur son amitié troublante avec Ouafa et Oé, des enfants perdus comme elle, chacun vivant avec un seul parent (certes aimant mais assez désarmé, impuissant), et ne sachant rien ou pas grand-chose de celui qui est parti, la mère pour Roberto, le père pour les deux autres. Oé, onze ans, est un garçon dont le rapport au monde est différent, il est sujet à des crises d’angoisse et trouve auprès des filles, plus âgées, une sorte de quiétude. Tous les trois font de la forêt un domaine qu’ils arpentent, leur amitié les protègent de leurs fêlures, de leurs peurs, (celle de ne pas être aimée pour Roberto), jusqu’au jour où l’équilibre est rompu, le tragique déferle alors violemment dans la vie de chacun d’eux…
Un roman profondément ancré dans un territoire, entre volcans, montagnes et forêt ; le village serait mort depuis longtemps s’il n’y avait l’usine qui emploie la moitié de ses habitants et sans laquelle les jeunes seraient partis vers la plaine. Ici on vit en vase clos selon un ordre bien établi, ceux qui bifurquent, qui rompent les codes, sont suspects et mal-venus. Dans ce contexte, Roberto est débauchée, Oé est « bizarre » et indomptable, Ouafa est noire et débarquée d’on se sait où… Tous trois sont aussi seuls, innocents et fragiles : ils ne seront pas épargnés. Un texte sombre, voire désespéré, une écriture juste, sans fioriture qui laisse l’émotion gagner le lecteur au fil des pages : ces mauvaises graines ne sont pas près de nous quitter...
(Fabienne)
"La ligne avait été fermée en 1985, et l'énorme monstre de fer était resté collé là, entre les deux montagnes, pour rien si ce n'est renforcer encore le pouvoir infini de la nature, prête à le reconquérir"