dien« L’indépendance est un soleil avorté, les mots du frère résonnent. Encore. Ceux de Char aussi, résistance n’est qu’espérance, alors nous nous battrons. Jusqu’au bout de la vie. Nous nous battrons. Et finirons bien par accoucher De nous-mêmes. Un jour. Soleils. Debout. »

Voici le premier roman de Marc Alexandre Oho Bambe ou comme il l’appelle lui-même son roman premier. Il met en scène un homme, Alexandre, qui, 20 ans après avoir quitté Hanoï, y revient en quête de son amour d’alors : Maï Lan, une fille « au visage de lune ». Tout jeune homme, il s’était engagé dans la guerre d’Indochine, pour fuir un mariage plus ou moins arrangé. La guerre agit sur lui comme un détonateur, il comprend très vite que ce n’est pas sa guerre, qu’il n’a rien à y faire et que la France y perd son honneur. En partant, il était convaincu de son utilité, mais il tombe de haut : très vite il perd ses illusions, découvre la réalité du colonialisme : « La mort a mille visages, qui interrogent / La conscience / De l’Homme »

Face aux horreurs du combat, il a l’impression de mourir à lui-même avant de renaître, grâce à l’amour de Maï Lan, puis de mourir encore, forcé de la quitter après Diên Biên Phu. De retour chez lui, il va cultiver cet amour au fond de lui, en parlera d’ailleurs à Mireillle, sa femme, qui espère le faire revenir à elle à force de prières, d’amour, grâce aussi à leurs enfants. En vain. C’est pourquoi « [il a décidé] de changer de mort. Au bout de vingt ans » : il retourne au Vietnam, sans l’intention de revenir cette fois. Il sera aidé dans sa quête de Maï Lan par une jeune femme, touchée par son histoire, qu’il va lui raconter par bribes au fil des jours. Voici donc une histoire de guerre, une histoire d’amour mais aussi l’histoire d’une amitié inconditionnelle avec un autre soldat, Sénégalais, Alassane Diop, qui après être venu défendre les intérêts de la France en Indochine, deviendra l’un des leaders de l’indépendance dans son propre pays : lui aussi vivra une prise de conscience au contact de la guerre. Cette amitié est magnifique, un lien de fraternité unira Alexandre et Alassane, ce dernier redonnera au mot « honneur » toute sa noblesse.

Ce roman porte un bel humanisme, déploie des idées généreuses et dessine des portraits d’hommes émouvants, avec leurs convictions, leurs choix, leurs failles (j’ai particulièrement aimé le personnage d’Alassane), leur vulnérabilité, en un mot, leur humanité ; ce sont des hommes en lutte, parfois contre eux-mêmes à l’image d’Alexandre, narrateur du texte. Mais au-delà de l’histoire et de ce qu’elle engage, la langue de ce texte éblouit : du récit, des lettres, de la poésie mais finalement tout est poésie dans ce roman. Très souvent envie de relire des passages ou de les lire à voix haute, pour le rythme, le jeu sur les mots, sur les sons, les assonances, les allitérations, une langue qui claque, qui vibre, dans laquelle on reconnaît aussi le slameur ; il joue sur les coupures de phrases, les répétitions, c’est magnifique. Un bel hommage à René Char (entre autres, il faudrait aussi citer Edouard Glissant, Aimé Césaire…). Un roman d'espoir aussi, superbe !

(Fabienne)

 

Diên Biên Phù est lauréat du prix Louis Guilloux 2018, voir ici.

 

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