"Je n'ai pas de fille. (...) Pourtant, si j'en avais une, qu'elle était morte et que je savais que rien ne lui rendrait la vie, je ne vois pas de meilleur endroit que la Tamassee où je voudrais que son corps repose. Je voudrais qu'elle soit là où elle ferait partie de quelque chose de pur, de bon, d'immuable, ce qui nous reste de plus proche du paradis."
Alors qu’elle passe quelques jours de vacances avec sa famille en Caroline du sud, Ruth Kowalsky 12 ans, se noie dans la Tamassee, protégée par le label « rivière sauvage ». Malgré leur expérience et une connaissance fine de la rivière, les sauveteurs locaux ne pourront repêcher le corps de la fillette qui semble dès lors voué à reposer au fond de l’eau ; pourtant les parents ne pourront s’y résoudre et sont prêts à remuer ciel et terre pour offrir une sépulture à leur enfant. Ils font appel à un entrepreneur qui pourrait installer un barrage provisoire sur la rivière, mais cette installation qui, même temporaire, aurait un impact sur l’environnement, constitue une infraction à la loi fédérale qui interdit clairement tout aménagement sur la Tamassee. Une exception à la règle créerait un antécédent et serait la porte ouverte à d’autres abus ; dès lors, les équilibres déjà fragiles sont rompus,une lutte acharnée s’engage entre les Kowalski, éprouvés par la perte de Ruth et les amoureux de la nature sauvage, qui défendent quelque chose de « sacré et d’éternel » et mettent toute leur énergie au service de la rivière. Face à ces derniers, les partisans du barrage sont des personnes influentes, qui bénéficient de soutiens politiques. Enjeux écologiques, économiques, politiques et humains secouent la communauté de montagne où chacun se sent concerné par le drame.
Maggie Glenn, photographe et Allen Hemphill, journaliste, sont dépêchés sur place par leur rédaction pour couvrir l’affaire. Maggie étant elle-même originaire du comté d’Oconee, elle connaît très bien les « autochtones » ; elle est une ancienne disciple de Luke, qui mène l’opposition au barrage ; Allen, lui, a aussi perdu sa fille (et sa femme) dans un accident : ce reportage sensible va raviver chez chacun d’eux des blessures intimes…
Dans ce roman à la noirceur que ne peuvent camoufler le murmure de la rivière et le bruissement des feuilles, la nature est grandiose mais c’est aussi une menace, menace que connaissent bien les habitants de la montagne mais que méprisent ceux venus d’ailleurs. Si la prose poétique de Ron Rash fait émerger couleurs et lumières derrière les mots, l’auteur est aussi très fin pour peindre les passions humaines : mauvaise foi, cynisme, émotions et convictions se confrontent dans un face à face somme toute inégal. D’emblée le lecteur comprend ce qui est en jeu, d’un côté comme de l’autre et s’implique dans la controverse ; il prend parti mais il sait aussi que cela finira mal. Une tension croissante le fait tourner les pages de plus en plus vite alors que paradoxalement, il voudrait ralentir sa lecture pour gagner du temps et retarder le drame, qu’il sait inéluctable.
« Wolf cliff et la voûte de chênes et de noyers blancs laissait filtrer une lumière blême et tachetée – comme les forêts hantées d’un lugubre conte de fées, avais-je songé alors que nous approchions de l’endroit où attendait une fillette morte » p. 97
(Fabienne)