"Le salaud, c'est parfois un gars formidable qui renonce"
En 2008, Sorj Chalandon publiait Mon traître roman aux accents autobiographiques dans lequel Antoine, luthier parisien et double de l’auteur découvre l’Irlande du Nord en 1977, alors que le pays est en guerre contre l’oppresseur britannique. Touché au cœur par le combat (inégal) que mènent ces hommes et ces femmes, par leur engagement sans faille, Antoine va très vite vouloir gagner les rangs de la lutte. Il en sera écarté par Tyrone Meehan, personnage charismatique et combattant de l’IRA qui rappellera au « petit Français » naïf et exalté que ce combat n’est pas le sien : « Tu n’es pas Irlandais. Tu ne seras jamais Irlandais ». Tyrone et Antoine nouent une amitié profonde, teintée d’un respect mutuel, une amitié un peu silencieuse où aucun mot n’est dit à la légère. Et pourtant, le traître n’est autre que ce « vétéran de tous les combats », celui que « célèbrent les chansons rebelles ». Meehan a trahi pendant plus de 20 ans, puis sera à son tour « balancé » par les Anglais, lorsqu’il ne leur sera plus utile. Cette trahison interroge le sens du combat bien-sûr mais aussi celui de l’amitié.
Pierre Alary adapte le roman de Chalandon dans une BD à la fois fidèle au texte et tout à fait personnelle dans le choix du découpage, du cadrage : des plans larges pour les scènes collectives –manifestations, enterrements… - et beaucoup de gros plans en particulier sur les regards pour traduire la rage souvent, la surprise ou la joie, plus rarement. La palette des gris, ocre, rouille et kaki nous plonge dans Belfast et « sa terrible beauté », les Irlandais vus par Alary ont des « gueules », ils sont marqués par la violence, l’injustice, la colère et une foi inébranlable dans la cause. Les dessins sont d'une beauté sombre et lumineuse à la fois, dans ce qui unit les êtres. La bande dessinée (comme le roman) dégage une émotion très forte, prend le lecteur aux tripes et l'entraîne inévitablement dans la lutte…
(Fabienne)