"Je louais enfin, et c'était la première fois, ma constitution de paysanne. En trottinant avec de chaque côté un sac de vingt kilos, je sentais dans mon corps des générations de femmes inusables trimbalant mioches et rutabagas à travers les shtel"
La Daronne, c'est Patience Portefeux, traductrice au noir et au ministère de la justice depuis 25 ans : elle traduit de l’arabe les conversations téléphoniques de dealers sur écoute. Sa vie a perdu le faste de son passé depuis la mort de son père, puis de son mari, tous les deux "dans les affaires" ; elle a trimé pour élever ses filles mais n’a aucune garantie pour son avenir. Et puis, un jour, de fil en aiguille, voilà qu'elle passe de l'autre côté, récupère une énorme cargaison de shit qu'elle planque dans son garage et commence à dealer avec ceux-là même qu'elle écoute toute la journée.
Dès les premières lignes, on comprend qu’Hannelore Cayre écrit d’une plume ferme, solide et l’on suppose d’emblée que l’on passera un bon moment, et bien ce sera mieux que ça : La Daronne est un excellent roman noir. Loin des « page-turner » qui se concentrent sur l’intrigue (mais c’est très bien aussi les page turner J) ce roman prend son temps : l’auteure installe le contexte, pose son personnage et revient notamment sur son enfance dans une maison au bord de l’autoroute, sur sa famille pour le moins fantasque. Si l’écriture, qui ne manque pas d'humour (noir lui aussi, cynique), est un régal, l’intrigue n’est pas en reste : jusqu’au bout le lecteur est médusé, la fin notamment, audacieuse, voire même gonflée, nous laisse comme deux ronds de flan et confirme l’intelligence de Patience Portefeux, qui n’est pas franchement sympathique (elle l'avoue elle-même) mais nous séduit pourtant. Hannelore Cayre en profite pour poser un regard acide sur notre société et ses rouages, ce n’est pas joli-joli. On devine que l'auteure a pris beaucoup de plaisir à écrire ce livre, allant même jusqu'à incarner son personnage sur la couverture !
Un roman qui n'a cure des convenances, une lecture des plus réjouissantes !
"A peine me suis-je arrêtée devant des crèmes antirides au platinium, à l'or ou au caviar à 600 euros pour 30 centilitres. Il ne s'agit pas d'une simple crème antirides, Madame, mais d'une expérience, me fit la vendeuse laborantine en blouse blanche. Se tartiner des métaux rares ou des animaux en voie de disparition sur le visage pour accéder à la jeunesse éternelle tenait effectivement de la métaphysique"
(Fabienne)
Et pour écouter l'auteure, c'est ici !