« Les bœufs, arc-boutés par le poids du chariot, martelaient sourdement la terre de leurs sabots. Les roues gémirent contre les essieux en bois. L'espace d'un instant se mêlèrent le bruit du bois qui travaille, celui du cuir fouettant la peau dans un cri strident et le cliquetis du métal sur le métal ; puis ces bruits firent place à un grondement continu tandis que les roues tournaient, et le chariot se mit lentement en branle ».
Nous sommes à la fin du 19è siècle, William Andrews, un brin candide et convaincu de trouver son « moi immuable » au cœur de la nature sauvage de l'ouest, abandonne ses études à Harvard et son milieu bourgeois de Boston pour se rendre à Butcher's Crossing, au Texas, un village à peine ébauché : une rue, un saloon, un hôtel, une maréchalerie... Bien que novice, il tente Miller, un chasseur de bisons chevronné, d'organiser une expédition cet automne-là. Si le marché des peaux est juteux, en revanche les troupeaux ont été décimés dans la région mais Miller se souvient d'avoir vu, des années auparavant, une horde de milliers de bêtes dans les montagnes encore inexplorées du Colorado. Guidé par ce rêve d'abondance, et rejoints par Charley Hodge, palefrenier et Schneider, un écorcheur qui apprendra le métier à Will, ils prennent la piste des bisons un matin d'automne en espérant être rentrés avant les premières neiges. Bien-sûr, la route est longue, le regret s'insinue parfois mais Miller lui ne doute jamais et en effet, il retrouve la vallée féconde, la chasse peut commencer...
Butcher's Crossing est une lente traversée de l'ouest américain au rythme des grincements de roue du chariot et des sabots de chevaux. Chacun des hommes vivra l'expédition à sa manière, ensemble mais seuls ; coupés du monde, ils s'isolent aussi en eux-mêmes, échangeant des mots seulement quand c'est nécessaire. Ce silence laisse le champ libre à John Williams pour décrire une nature grandiose mais impitoyable, le silence n'est d'ailleurs que relatif, disons le silence des hommes car la nature elle-même est assez sonore. Le texte, aux accents parfois contemplatifs est d'un lyrisme superbe, faisant du décor un personnage à part entière. Empreint de mélancolie, le roman est aussi une réflexion sur l'homme, ses rêves, sa folie, sa vanité qui le mènent inexorablement à sa perte. Enfin, Butcher's Crossing annonce le crépuscule de l'ouest sauvage, dont l'extinction des bisons est l'un des signes.
(Fabienne)
« Il voyait en Miller un mécanisme, un automate, mû par le troupeau en mouvement. L'homme ne convoitait ni les peaux, ni ce qu'elles lui apporteraient. Sa destruction des bisons ne relevait pas d'une soif de sang, ni même de la fureur aveugle qui le travaillait secrètement – il s'agissait plutôt d'une réaction froide et irréfléchie à la vie qu'il avait choisie »
John Williams est aussi l'auteur de Stoner :