sauf quand on les aime

« Je ne parle pas de l’amour qui agrippe et qui retient, pas celui-là. Tu n’as jamais éprouvé ce truc, devant quelqu’un d’abîmé ou juste un inconnu ? Ce moment où tu te dis, c’est lui, c’est elle, mais ça pourrait être moi. En un regard, il te semble que tu embrasses toutes ses émotions : sa douleur, ses rêves, ses regrets, sa solitude. Et chaque détail de son corps te touche, même ce qui d’habitude te répugne. Quand tu vas vers quelqu’un de cette manière, est-ce qu’il peut le sentir, le reconnaître ? »

Dans le train qui la conduit à Toulouse, Tisha, jeune femme noire d’une vingtaine d’années, est importunée par un homme ivre et agressif. Seule une femme blonde au calme maîtrisé intervient et arrive à distraire l’homme de son obsession envers Tisha, terrorisée. Les autres passagers se murent dans une apparente indifférence. Claire, témoin pétrifié de la scène, se sent lâche et culpabilise. A la sortie de la gare, elle se rend compte que Tisha ne sait manifestement pas où aller. Elle lui propose de l’accompagner à l’appartement qu’elle partage avec Juliette et Kader. Juliette, Claire et Kader ont uni leurs solitudes pour mieux résister aux vicissitudes du quotidien. Tous trois sont égratignés par les accidents de la vie, blessures intimes remontant à l’enfance, difficultés à trouver une place dans la société.

« A eux quatre, ils s’en sortent à peu près, se soutiennent en cas de coup dur ou d’imprévu, et on dirait que les jours en sont truffés. »

Et puis, il y a le voisin, M. Bréhel. C’est un personnage clé de l’histoire malgré son apparente insignifiance. Secrètement amoureux de Claire, très seul et désemparé, M. Bréhel tente de sauver les apparences en pratiquant un humour très décalé et maladroit. « Elle [Claire] a été percutée par la détresse de cet homme et déchiffre enfin ses efforts pour paraître à son avantage en dissimulant, sous les plaisanteries, sa solitude radicale. »

Dès les premières pages, l’auteure met en place de façon implicite les éléments qui aboutiront au drame qui se jouera dans la seconde partie. On pressent que quelque chose de terrible va arriver sans en deviner la teneur exacte. Ce climat de tension et de violence latente est heureusement allégé par les tentatives d’humour de M. Bréhel. Et surtout, ces moments de grâce où Claire joue du violoncelle. Elle, si frêle et désarmée face aux aléas du quotidien devient forte et déterminée, transcendée par la musique qui naît sous son archer.

La romancière, telle une portraitiste dévoile habilement par petites touches la personnalité et le ressenti de chaque personnage avec beaucoup de minutie voire de la tendresse. Pas de temps morts dans ce récit au rythme soutenu qui alterne narration, brefs dialogues et monologues intérieurs. L’auteure nous entraîne, irrésistiblement, c’est un roman sombre, certes, mais pas désespérant.

(Françoise)

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