"Un cri entrecoupé ou quelques chose qui y ressemble s'élève, puis j'entends un bruit que je n'ai jamais pu identifier : il n'est pas humain, il est plus qu'humain. C'est le bruit des vies qui s'éteignent, mais aussi celui d'objets qui se brisent. Le bruit des choses qui tombent, un bruit ininterrompu et par là même éternel, un bruit sans fin qui continue de retentir dans ma tête depuis ce soir là et ne semble pas vouloir en partir"
Antonio Yammara et Ricardo Laverde se connaissent à peine. Une génération les sépare, le premier est un jeune professeur de droit à l'université de Bogotá, le second est pilote d'avion, mais vient de passer les 20 dernières années sous les verrous. Ils se sont connus autour d'une table de billard et peu à peu nouent une relation sans vraiment devenir amis. Un après-midi, Laverde vient d'écouter l'enregistrement d'une cassette audio qui l'a fortement troublé (on y entend justement « le bruit des choses qui tombent ») et Antonio l'accompagne dans la rue, lorsque deux hommes surgissent à moto, dégainent un pistolet et tirent, tuant le pilote et blessant le professeur. Le traumatisme de l'accident ronge longtemps Antonio, l'angoisse et la paranoïa le minent. Jusqu'au jour ou Maya, la fille de Ricardo, le contacte et l'invite chez elle, aux pieds de la Cordillère, pour parler de son père, qu'elle a peu connu.
Finalement, au long d'une discussion qui s'étire sur un week-end, elle retricote les fils du passé, retrace l'histoire d'amour de ses parents, Elena Fritts, américaine arrivée à 20 ans en Colombie, missionnaire sociale au Corps de la paix, et Ricardo Laverde, fils d'une famille de bourgeois désargentés, petit-fils d'un héros de l'aviation. Le lecteur plonge alors au cœur des années 70 et 80 en Colombie : l'émergence du trafic de drogue, le terrorisme ; il refait parfois surface pour retrouver les narrateurs, conscients qu'il leur faut embrasser le passé pour surmonter leurs blessures.
Comme souvent, j'ai d'abord été attirée par le titre, très poétique et, reconnaissons-le, assez intriguant, de ce livre ! C'est un roman qui ne se donne pas tout de suite, Vasquez prend le temps de planter le décor, d'installer une atmosphère, des personnages : le naïf Antonio d'avant l'accident, le Ricardo un brin dandy et d'emblée séduisant. Et puis, dès que Maya commence son récit, les deux histoires enchâssées se répondent, l'une intimiste, celle du « je » du professeur tourmenté, l'autre au contraire très vivante, joyeuse et amoureuse, du couple Elena / Ricardo. Le roman est habité par l'idée que le passé laisse sur nous une empreinte immuable, que nous ne sommes pas libres car il modèle forcément notre existence, peut-être à plus forte raison dans un pays qui a connu le chaos et la peur. Nos deux jeunes personnes tenteront de trouver la paix en regardant derrière eux et en se démenant pour faire remonter les souvenirs. Le bruit des choses qui tombent est une quête, et nous la menons pleinement avec Antonio. Un grand roman, placé sous l'égide du Petit Prince, ce ne pouvait être qu'un heureux présage !
(Fabienne)