"Je me fis passer pour le garçon que j'aurais voulu être. Je n'allai pas jusqu'à me prétendre d'une beauté à faire renier leurs voeux à un régiment de nonnes, mais je m'inventais des situations, des aventures, où des filles attirées par ma personne me tombaient dans les bras."
Dans la 1ère partie de ce roman, le narrateur, Carl, raconte ses souvenirs d'enfance, c'est délicieux ! Sa famille appartient à la classe moyenne haïtienne, un milieu cultivé qui élève ses enfants selon les règles de la bonne société et les préceptes catholiques. Mais en parallèle, et au grand dam de son père, Carl fait une partie de son éducation (sexuelle entre autre) dans le quartier de Nan Palmis au bord de la mer, où exercent les prostituées, escroquent les meneurs de jeu et sévissent les tontons macoutes. Il lui arrive bien des déboires au contact de cette faune bigarrée, plus ou moins dangereuse, mais il y revient toujours. C'est un garçon timide, a l'imagination débordante, plus à l'aise avec l'écriture qu'avec la parole : il laisse libre cours aux mots dans une correspondance exaltée avec Cœur-qui-Saigne lors d'un jeu épistolaire, s'inventant un personnage mais ne dupant que lui-même.
La 2nde partie du roman est beaucoup plus grave, dans le ton comme dans les faits ; Carl tente de sauver ce qui peut encore l'être, avec en toile de fond une société haïtienne en proie aux exactions des militaires, une ambiance de peur, de suspicion. L'imaginaire sous différentes formes, tient une large place dans ce roman aux accents autobiographiques. Le père de Carl, homme proche et lointain à la fois, est lui aussi très présent tout au long du texte et j'ai beaucoup aimé le récit de la relation père/fils. Vaudou, superstitions et magie, indissociables du peuple haïtien, trouvent aussi leur place ici, bien que Carl soit un sceptique. Si le roman est réussi de bout en bout, j'ai tout de même préféré la 1ère partie, souvent lue avec le sourire aux lèvres, les aventures rocambolesques de Carl (qui fait ses premiers pas en littérature) et le style fleuri de Gary Victor m'ont ravie. Les retrouvailles avec Cœur-qui-Saigne, 10 ans après leur première rencontre marquent sans conteste une rupture : le temps des illusions est passé.
(Fabienne)