"Lou est une jeune fille au bout du rouleau, prisonnière d'un mythe trompeur : celui du Sauveur. (...) Elle guette l'horizon, frustrée de ne rien y voir venir, sans réaliser que son salut réside dans son monde intérieur. La clé se trouve en elle, mais elle cherche le trousseau de l'autre côté des barreaux"
Lou a 15 ans, elle vit avec sa mère et sa grand-mère dans une vieille ferme isolée, à l’écart de la ville, elles tirent un peu le diable par la queue. Au lycée, elle n’a pas d’amis, elle a tenu à distance les quelques personnes qui ont tenté un rapprochement, elle est repliée sur elle-même, se dévalorise invariablement. Perçue comme différente, elle s’attire maintenant les moqueries. Des failles profondes l'empêchent de sortir de sa chrysalide...
Pourtant Lou a des rêves, des rêves d’ailleurs, nourris par la publicité, les jeux télévisés et les séries ; elle attend qu’on vienne la chercher, qu’on la sorte de la boue dans laquelle elle s’englue. Aussi, le jour où, par un curieux concours de circonstance, elle se retrouve chez elle en présence du garçon qui lui plaît (venu travailler une punition commune) et d’une célébrité de passage (un homme politique venu emprunter un téléphone), l’imaginaire de Lou s’affole, ses espoirs prennent vie, elle est sûre que ces deux hommes sont là pour elle, qu’ils vont l’emmener avec eux. Mais lorsque Jean-Yves Pitterman s’apprête à partir, accompagné de Phoenix qu’il déposera au bus, c’est la panique. Lou refuse d’être laissée sur le carreau et cédant a un moment de confusion, elle se saisit du fusil près de l’entrée et braque l’arme sur les 2 visiteurs. Sans l’avoir prémédité, la jeune fille s’improvise preneuse d’otages, cette nuit pluvieuse de février, dans une grange humide et froide. Sa mère et sa grand-mère seront vite libérées à condition qu’elles ne préviennent pas la police mais une heure plus tard, les fourgons blindés débarquent, les négociations débutent alors qu’entre la ravisseuse et ses prisonniers, une autre forme de discussion s’engage. Lou passera par toute une gamme d’émotions, la colère, le doute, l’assurance aussi, l’impression d’être enfin vivante.
Au tout début, l’histoire peut sembler un peu tirée par les cheveux et assez invraisemblable. Mais finalement pourquoi pas, et je dirais même plus : qu’importe ! Lou, cette jeune fille un peu sauvage et désemparée, qui vit avec beaucoup de questions mais si peu de réponses nous émeut. Prendre le fusil, « c’est une prise de parole détournée », parce qu’elle n’a pas les mots, ils restent bloqués au fond de sa gorge. Que le personnage principal soit une jeune fille vivant dans une campagne perdue d’une région déshéritée est intéressant et bon nombre d’ados pourront s’identifier à elle, cela nous change des jeunes citadins, plus représentés dans la littérature (mais auxquels on peut aussi s’identifier, on est d’accord) ! Les 3/4 du roman sont un huis-clos qui marquera un tournant dans la vie de Lou : en quelques heures elle va comprendre comment trouver sa place dans le monde, même si le chemin sera long et sinueux. « Il n’y a rien qui viendra miraculeusement vous sauver de l’extérieur. C’est à l’intérieur, en vous, que se trouve l’issue. Et c’est plutôt une bonne nouvelle, en fait ». Voilà le message du livre, puissant, résolument optimiste et qui plus est, distillé avec finesse et subtilité, jamais au détriment de l’intrigue : Caroline Solé refuse un déterminisme social qui voudrait que l’endroit d’où l’on vient et le milieu qui nous a vu grandir conditionnent notre vie. C'est aussi un roman sur le pouvoir des mots, de la parole. Un très beau texte.
« Phoenix ne croit pas en dieu, mais aux esprits. Il n’écorne pas les livres, n’écorche pas les mots, n’insulte pas les autres. Il respecte le langage comme un souffle magique qui relie les femmes et les hommes de toutes les origines, depuis la nuit des temps. Pour lui, un coup de feu, c’est un échec flagrant. L’être humain qui baisse les bras devant la complexité de l’univers, qui fait tout exploser à défaut d’avoir trouvé le kit de construction » p. 176
(Fabienne)