« J’étais un gosse parmi d’autres, sauf que moi mon enfance était terminée. Un enfant, ça se croit à l’abri du noir grâce à un ours en peluche ; et la fin de l’enfance, c’est comprendre que rien, absolument rien, ne vous protège du noir »
Voici un roman que l'on pourrait rapprocher, à première vue, des romans de la veine réaliste penchant vers le glauque : l’histoire débute dans une clinique psychiatrique de luxe et l’on suit 5 personnes qui se retrouvent là après avoir raté leur suicide. En fait, si le scénario vu comme ça est sombre voire accablant, c’est sans compter sur les talents d’Axl Cendres pour décaler son propos.
Nous voilà donc avec Alex, 17 ans, qui est aussi le narrateur de l’histoire. Sa mère, atteinte d’une certaine folie, fantasque, délirante mais un peu poète aussi (elle nous rappelle la mère de Fidèle dans Dysfonctionnelle) s’est elle-même suicidée quand il avait 8 ans. Après le drame, Alex a refoulé sa douleur, ses émotions il s’est, comme il le dit lui-même « frigorifié » et a fait comme si tout allait bien, jusqu’à l’adolescence où il s’est pris un retour de bâton : « il y a neuf ans, j’ai rien ressenti. J’étais comme congelé de l’intérieur. Et puis je me suis décongelé il y a quelques jours, et ça fait un mal de chien ». Il aurait voulu vivre sans aimer (« A quoi ça [sert] d’aimer les gens, puisqu’ils [vont] mourir ? ») comme c’est impossible, il a tenté de se tirer une balle dans le cœur. Il se retrouve avec dans un petit groupe de suicidants : Jacopo, que la vie emmerde, il tente régulièrement mais en vain de sauter d’une falaise normande, Colette une vieille dame qui a voulu mourir avec son mari, s’il a réussi, elle a en revanche survécu, depuis elle incite tout un chacun à l’étouffer dans son sommeil, Victor, un boulimique mal aimé par sa famille, en quête d’amour et de reconnaissance et Alice, une belle fille aux airs hautains, méprisants (au fond elle a beaucoup de tendresse à revendre), elle a subi viol et inceste. Des cas lourds, donc, pas vraiment propices à la légèreté et pourtant Axl Cendres parvient à faire de son roman une comédie drôle, tendance cynisme et humour noir. Sortis du contexte, certains propos des suicidants sembleraient déplacés : ils sont tout simplement tordants, il faut dire que nos 5 énergumènes ne se voilent pas la face, sont lucides (surtout à propos des autres) et bien décidés à en finir avec la vie. Aussi, quand le psychiatre leur conseille de mener un projet collectif pour le week-end, l’idée fait tout de suite écho et ils décident de prendre ensemble la poudre d’escampette pour suicider ensemble en Normandie.
Axl Cendres joue pour notre plus grand plaisir sur la caricature, notamment à propos des soignants ; si ceux-ci parviennent à révéler les traumatismes, ils se retrouvent finalement assez démunis face à leurs patients et la thérapie se fera ailleurs, entre fêlés comme ils s’appellent eux-mêmes et notamment lors de la virée jusqu’en Normandie. Ces doux dingues vont s’aider à renouer avec la vie et à surmonter leur désespoir, tous n'y parviendront pas...
Un texte donc résolument optimiste où l’humour domine, énormément d’aphorismes, de jeux de mots, de métaphores et de références qui apportent un côté décalé et bienveillant, des portraits émouvants, des personnages attachants, qui, livrés à la solitude veulent mourir mais ont paradoxalement une folle pulsion de vie. Le projet littéraire d’Axl Cendres était gonflé, culotté, voire casse gueule et elle s’en sort haut la main, le livre se lit d’une traite et on le referme le sourire aux lèvres, confiants pour l’avenir des personnages.
Axl Cendres est décédée ce mois d'octobre, elle allait avoir 39 ans... Quelques mots de son roman trouvent alors une triste résonnance : "Seule la mort pouvait soigner la maladie incurable dont il souffrait : naître en vie mais sans espoir". Le plus bel hommage que l'on puisse rendre à cette grande auteure est de continuer à lire ses livres.
(Fabienne)