« J'avais le sentiment d'avoir une grand-mère à la maison et plus de mère. Ca faisait une drôle d'impression. Je l'appelais toujours maman mais le mot n'avait plus de goût dans ma bouche. C'était devenu un mot fade, presque banal »
Parmi les quelques références littéraires qui parsèment ce texte, on trouve ces vers de Paul Fort : "Il n'y avait jamais de beau temps / Dans ce pauvre paysage / Il n'y avait jamais de printemps / Ni derrière ni devant » extraits de La complainte du petit cheval blanc. Ce sont des vers qui reflètent assez bien ce que peut ressentir Louise, 16 ans et personnage central de ce récit. En tout cas, le dernier printemps remonte à longtemps. En effet, sa mère est atteinte de sclérose en plaques depuis 5 ans et la maladie a atteint un degré très invalidant : épuisée, elle passe la majeure partie du temps à dormir et ne peut assumer les responsabilités du quotidien, elle a d'ailleurs besoin de quelqu'un pour ses piqûres quotidiennes. Le récit s'ouvre sur le départ du père, une valise au bout de chaque bras : il quitte le navire au cœur de la tourmente. Un court moment, Louise est tentée de partir avec lui mais elle ne peut pas bien-sûr… Elle reste et va devoir assumer toutes les responsabilités domestiques ; repas, ménage, courses, elle va devoir soigner sa mère, s'occuper de son petit frère. Il n'y a plus de place pour son petit ami, elle le quitte ; malheureux, il se venge d'elle via facebook, en postant une photo dénudée d'elle. Grâce à Maya son amie, elle arrive à limiter les dégâts. Bref, c'est une ado qui, à la maison assume des charges d'adulte mais qui, au lycée, a les préoccupations des filles de son âge : amitié, amours… Évidemment, il y a des débordements inévitables. Le récit oscille entre ces deux focales : la maison et le lycée.
Le récit est à la 1ere personne ce qui crée une sorte d'intimité entre le lecteur et Louise, la narratrice. C'est une jeune fille « cash », elle n'a pas le loisir de faire dans la dentelle, elle ne ménage pas sa mère, ne se ménage pas elle-même. Sa vision de la situation est assez glaçante. Elle en veut à son père et est très dure avec lui les rares fois où ils se croiseront. Si elle semble malmener son petit frère, en fait, face à l'avenir incertain qui se dessine, elle cherche surtout à l'épargner et a beaucoup de tendresse pour lui ; c'est une belle relation qui les lie, quant à lui, il est plus lucide qu'on pourrait le croire, du haut de ses 8 ans.
Un très beau texte que j'ai lu d'une traite, beaucoup de sensibilité, jamais de misérabilisme ni de bons sentiments, de très belles métaphores ; Eric Sanvoisin trouve le ton, brut, sans fioriture et surtout sans romantisme, ce qui aurait été déplacé pour parler de ce sujet et rend l'émotion encore plus palpable. Le lecteur s'invite quelques semaines dans la vie de Louise, la fin est raide puisque bien-sûr, les choses ne peuvent qu'empirer du côté de la maladie, quelques portes s'ouvrent timidement. La dernière image est très belle et apporte un peu de douceur, témoigne du lien indéfectible entre Louise et son petit frère Rudy, dit la taupe. Un coup de cœur.
(Fabienne)