foret darbres creux 01"Dans ce parcours doux et débridé du crayon sur la feuille matinale, et par ce regard tendre épousant le trait à la suite de la main à l’œuvre, il y a comme un contentement pour Bedrich, et c'est peu dire. Une joie presque, secrète et immobile, surplombant les parois du ghetto, réduisant à néant, le temps d'une seconde, les tragédies."

Theresienstadt, 1941. Bedrich Fritta arrive au camp avec sa famille, dans cette prison qui ne dit pas son nom, ce simulacre de ville qui cache sa misère derrière des façades de pacotille ; un ghetto pour intellectuels ou artistes, juifs pour la plupart (mais pas seulement : c'est aussi à Térézin qu'est mort Robert Desnos). Le dessinateur est affecté à l'atelier d'architecture avec d'autres artistes. Dans la journée ils travaillent à des projets commandés par la direction du camp, la construction d'un crematorium entre autres, le soir, réunis clandestinement dans l'atelier, ils recréent un espace de liberté, pour « peindre un peu de la vérité de Terezin », un témoignage pour ceux du dehors. 

Un texte tout en sobriété, presque décharné à l'image de ces hommes et de ces femmes qui avaient la faim pour inséparable compagnon. Un texte presque silencieux ou du moins feutré, les paroles sont rares, les artistes leur préférant gestes ou expressions du visage, les discussions entre Bedrich et Johanna, sa femme,fritta semblent chuchotées... Tout ce silence laisse place aux bruits, notamment au « gratouillis des crayons et des plumes » sur le papier, mais aussi celui du couteau raclant le couvercle d'un bocal, le roulement du train sur les rails... Si bien que certaines scènes sont en fait franchement bruyantes et ces bruits ne sont pas anecdotiques, à travers eux, c'est bien des hommes que nous parle Antoine Choplin. Les sens du lecteur sont constamment en éveil, c'est le roman des sensations, le toucher tient lui-aussi une belle place : Bedrich touche ses outils et cette sensation est essentielle, fait presque figure de rite. Dessiner pour Bedrich est une façon de survivre mais Choplin évoque avec beaucoup de justesse le « plaisir sournois et tenace du dessin que l'on sait », les « élans contradictoires » ; dessiner, créer : « un contentement, c'est bien cela pour le moins, tenu en joue par une culpabilité impermanente ». Enfin, il est beaucoup question dans ce livre (et c'en est frappant) de la manière dont les hommes occupent l'espace, là encore c'est une façon de dire au-delà des mots, c'est l'écriture de l'implicite, de l'indicible. L'espace est habité par la lumière, par les voix lors du concert du Requiem de Verdi et c'est superbe.

Un texte d'une puissance grave et belle à la fois, une langue maniée avec finesse et intelligence, avec poésie aussi. Un hommage vibrant, qui rappelle l'importance de l'art face à l'abîme...

Bedrich Fritta est mort en déportation en 1944, quelques uns de ses dessins à l'encre, réalisés à Térézin et qui ont pu être sauvés, sont parfois encore exposés.

(Fabienne)

 

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