"Les esprits qui croient que l'anagramme d'un mot lui donne son sens caché ne verront aucun hasard à ce que l'anagramme de "faits divers" soit le mot dérivatifs."
Durant la campagne des élections présidentielles de 2022, Paul Gasnier assiste, en tant que journaliste, au meeting politique d’un homme qu’il ne nomme pas mais que nous identifions facilement, il s’agit d’Eric Zemmour. Cet épisode trouve un drôle d’écho chez l’auteur car « L’homme sur scène offre la traduction politique d’une colère qui [l]’habite depuis des années ». En effet, 10 ans auparavant, en juin 2012 à Lyon, Saïd, un jeune homme de 18 ans qui pratiquait du rodéo urbain a percuté sa mère qui roulait en vélo dans le quartier de la Croix-Rousse, elle mourra une semaine plus tard. La moto n’était pas immatriculée, n’était pas autorisée à rouler en ville et d’ailleurs, Saïd n’avait pas son permis. Toutes les conditions étaient réunies pour mener au drame. Et Paul Gasnier de conclure : « la mort de ma mère illustre parfaitement ce que le discours d’extrême droite dénonce ». C’est le récit de cette collision que déroule le livre, l’auteur va chercher à comprendre comment l’accident a pu se produire, comment « deux destins parallèles voués à s’ignorer se sont percutés ». Pour cela il va remonter le fil de l’histoire, retracer l’itinéraire de deux familles, celle de Saïd et la sienne jusqu’au choc fatal. Il mène un travail d’enquête journalistique en interrogeant les différents acteurs liés à l’accident ou au procès : témoins, policiers, avocat, juge, travailleurs sociaux. Certes il en ressort une cartographie de l’accident mais aussi de la France et de la fracture sociale qui se creuse…
La collision est un texte éminemment politique. Ici le récit personnel prend son sens parce que l’auteur est convaincu (à juste titre) que l’accident « nous raconte collectivement ». Et de fait, ce sont deux mondes qui émergent sous sa plume, deux mondes qui cohabitent mais ne vivent pas dans la même réalité : la collision est aussi sociétale. Le texte est du côté de la littérature mais flirte avec la sociologie. Le ton est pudique, d’une sobriété presque clinique lorsqu’il évoque l’intime. Paul Gasnier pose un regard d’une grande humanité sur les êtres, il dépasse la colère et la haine pour comprendre, le fait divers nourrit une réflexion plus large, sur la justice et la récupération politique. Nous sommes à Lyon et la ville tient ici une place importante, elle est l’un des personnages essentiels de La collision, son histoire, sa géographie impactent les habitants, qu’ils habitent le centre historique ou les pentes de la Croix Rousse. Un récit d’une grande justesse, Paul Gasnier met l’émotion à distance, le texte est remarquable.
(Fabienne)