guthrie« On a eu des castors, on a connu un pays libre, on a bien vécu, et tout ce qu’on a fait, on dirait qu’on l’a fait contre nous-mêmes, et que même si on l’avait su, on aurait pas pu faire autrement. On est partis, loin, pour prendre du bon temps, librement, mais c’était forcé que des gens nous suivent, que les castors deviennent rares, que les Indiens soient tués ou domptés, et pendant tout ce temps le pays devenait plus sûr, mieux connu. On n’a pas encore tout vu, Boone, du tort que se fait le mountain man. L’étape suivante, c’est de se faire engager comme guide et d’emmener des expéditions, pour détruire encore plus le pays. (…) C’est comme si on avait touché un héritage et qu’on avait dû dépenser l’argent, et maintenant il reste presque plus rien »

Une citation un peu longue pour commencer cette note de lecture mais c’est le triste constat de Summers, l’un des personnages principaux, à la fin du roman et il est d’une justesse désolante… C’est aussi un regard acerbe sur ce que fut la vie de cet homme et de quelques autres, qui ont leur part (involontaire) dans la dévastation de ce qui par ailleurs leur était le plus cher, la nature sauvage de l’Ouest. Mais revenons au début de l’histoire…

Boone Caudill est un tout jeune homme lorsqu’il quitte sa famille, ne pouvant plus supporter la violence paternelle. Alors il prend la route, vers l’Ouest bien-sûr, avide d’aventure et de liberté. En chemin, il rencontre Jim Deakins qui vivote et que rien ne retient dans le Kentucky : ils décident de partir ensemble. Boone est solitaire, taiseux, impatient et impulsif, il cache en lui une colère sourde, alors que Jim est bavard, jovial, d’un naturel sociable et qui s’interroge beaucoup sur Dieu. N’empêche, des liens très forts vont rapidement les souder. Embarqués sur un bateau, Le Mandan, ils rencontrent Dick Summers, recruté comme chasseur et pisteur et qui les prend sous son aile. Le capitaine de l’expédition espère traverser des régions encore hostiles et inconnues en 1830, afin de « livrer » Teal Eye à son père, un chef Blackfeet, un cadeau commercial en quelques sortes… L’expédition ayant tourné court et la jeune fille s’étant évaporée dans la nature, les trois hommes deviennent des « mountain man » dans le Haut-Missouri, des trappeurs vivant loin des hommes, au rythme imposé par une nature impitoyable, conscients que la mort peut se trouver au tournant. Plus âgé que Boone et Jim, Summers incarne une forme de sagesse, il connaît la vie sur ces terres vierges et sera un guide pour les deux jeunes hommes. En parallèle, Boone n’abandonnera jamais l’idée de retrouver l’énigmatique Teal Eye dont il est tombé amoureux sur le bateau, sans qu’ils aient échangé la moindre parole, comme une évidence…

Publié aux Etats-Unis en 1947, ce n’est qu’en 2014 que nous avons pu découvrir le roman en France grâce au beau travail de Bertrand Tavernier qui n’a de cesse de faire traduire des textes de la conquête dans la collection « L’ouest, le vrai » chez Actes sud. La captive aux yeux clairs est un western incontournable, de ceux qu’on peut élever au rang de chef d’œuvre sans exagérer. Roman d’initiation, épopée aux accents tragiques, histoire d’amour, le roman nous parle de la fin d’un monde et de la genèse d’un autre, l’une se faisant bien-sûr au détriment de l’autre. Dans une langue parfois lyrique, qui nous frappe en plein cœur, Guthrie nous transporte dans une nature cruelle mais splendide, qui n’a pas encore subi la main de l’homme puisque ceux qui la peuplaient alors avaient pour elle un respect absolu. Boone, Jim et Summers sont des hommes qui nous habiteront longtemps, l’auteur dédie à chacun des portraits qui nous font saisir leur complexité, leur personnalité forte, leur conception de la vie. Boone en particulier avec son côté un peu sauvage et torturé est touchant et ne se laisse pas oublier facilement !

En préface au roman, James Lee Burke écrit qu’à sa lecture, « vous savez que vous participez à une création artistique qui confine au mystique », oui, rien que ça ! Alors, n’hésitez pas, embarquez pour une expérience spirituelle ! Et si comme moi, vous êtes un peu triste quand arrive la dernière page, bonne nouvelle : La captive aux yeux clairs n’est que le premier tome d’une série en 4 épisodes :)

(Fabienne)

 

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